•      Je regardais les arbres emballés de brume ; d'autres brouillards, ceux du fleuve de mon enfance aux berges perdues, aux silhouettes de verdure à peine dessinées.
         L'automne avait sonné, ses tapis de feuilles ocres et les parfums de cartable neuf que je n'ai jamais oubliés.
         Le soleil n'était qu'un halo, et le fleuve promenait ses bateaux cornant dans les limbes. Leurs noms se lisaient au passage : grecs ou russes à l'écriture codée, le chant des marins et leurs signes comme un jeu, provinces françaises aux accents frais d'accordéon et de linge séchant sur le pont... Des vies entières sur ces péniches au ventre de charbon ou de blé, au dos de scarabée recouvrant les cales, rampant sur l'eau au rythme des marées et des écluses, et leurs salons qui me faisaient rêver, tout de bois bien vernis, de banquettes accueillantes et de jolis hublots dorés. De temps à autres on entendait la drague, sorte de barrissement étrange que le grincement des chaînes de seaux puisés et déversés annonçait de loin.
         Au bord du fleuve j'allais trouver le soleil, le matin scintillant sur les crètes des vagues, brûlant le ciel et les nuages au soir tombant. Comment aurais-je pu savoir que le jour s'était levé et éteint s'il n'y avait eu le fleuve ? Mes pas sans cesse traînés là où jadis les chevaux tiraient les carènes, sans cesse mon esprit happé par tout ce que ces eaux avaient charié de conquêtes, de commerces et de voiles inconnues, comment aurais-je existé si mes pensées, au gré des saisons, n'avaient pu se baigner des couleurs de ces berges, des ombres de ces ondes ?
         Son humeur était la mienne, sa respiration mon souffle, ses images les consolations des jours d'ennui et d'inquiétude, et l'iode de ma soif, comme une assurance que le monde tournait, que la vie demain serait là encore, au même endroit et pourtant chaque jour si différente...


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