• Les tempêtes du marais

    Peut-être le souvenir de ces lieux si proches de l'estuaire, si vite jetés à l'infini, peut-être l'écho du vent dans les peupliers, comme des bâtons de pluie : le vent est ma force.


    J'ai levé le nez ce matin à ce souffle tiède et puissant, insolent vent doux d'un hiver qui se trompe de temps. Un moment statique pour mesurer sa puissance, respirer ses parfums, j'ai marché dans le tourbillon de tout ce qui volait autour de moi.


    Balayer, purifier, faire le tri. Le jaune des feuilles sur le noir de l'asphalte, et les façades livides sur leur ciel d'encre, ivre d'air, j'avançais comme jadis le chemin lavait ma mémoire d'enfant.


    Le vent d'abord se faufilait, faisant tinter les feuilles, je me sentais revivre ; leur cime se courbait, un peu plus, toujours plus bas, torturées, secouées, et les bourrasques furieuses s'abattaient comme le claquement du fouet.


    Dans le marais la rumeur avait enflé, et les hurlements circulaient entre les troncs. Il n'y avait plus de brume, plus ce halo qui me permettait d'imaginer, en lieu et place d'un carré d'arbres chancelants qui s'épaulent dans la boue, les murs de ma forteresse.


    Il n'y avait plus que la lune et la course des nuages, affolés, et les cimes tordues aux feuilles scintillantes comme les feux des navires en perdition. Même pas de tonnerre, seulement le fracas du vent, et sa juste raison. Pas de pourquoi au bord des lèvres, mais les yeux rivés sur les troncs vaincus : rien n'est sûr.


    De partout le doute s'est répandu, la terre s'est arrachée, et les racines en l'air comme le comble du ridicule tout a cédé.


    Au matin, devant l'horizon sans brume, il n'y avait plus rien. Plus rien qu'un cimetière de tronc brisés comme des allumettes et de racines boueuses.


    Je ne m'accrocherai plus à la terre, pensai-je.


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